Harley-Davidson, un choix risqué, une alliance déroutante — et peut-être LA dernière chance

C’est en 2024 à l’EICMA de Milan qu’Harley-Davidson a montré ses cartes : un maxi-scooter électrique signé LiveWire (sa marque électrique), conçu main dans la main avec KYMCO.
Derrière ce projet technique, c’est un choix stratégique radical qui se dessine : celui d’une alliance entre deux mondes que tout oppose.
Pourquoi Harley-Davidson s’est allié à KYMCO pour son scooter électrique LiveWire
Quand l’Amérique du V-Twin croise l’Asie du scooter urbain, c’est bien plus qu’un produit qui naît : c’est un repositionnement entier d’un mythe de la moto. Harley-Davidson, via sa marque électrique LiveWire, s’attaque au segment du deux-roues urbain — un territoire inconnu, voire hostile. Alors que l’électrique redéfinit la mobilité d’aujourd’hui et de demain, cette alliance inattendue en dit long sur les limites d’un constructeur historique et les ambitions d’un géant taïwanais discret mais redoutablement organisé.
LiveWire un pari électrique qui ne décolle pas
Lancée en 2021 comme entité autonome, LiveWire incarne l’effort de Harley-Davidson pour se projeter dans l’ère électrique. Sur le papier, les motos sont convaincantes : la LiveWire One puis la S2 Del Mar montrent une maîtrise technique certaine. Mais les chiffres de ventes sont en berne, l’accueil du public reste mitigé, et la distribution se limite pour l’instant aux États-Unis et à quelques marchés européens. Malgré quelques coups de communication — comme l’équipement de certaines forces de police américaines avec ses modèles — la marque peine à exister réellement dans le paysage de la mobilité urbaine. Et ce n’est pas uniquement une question de chiffres. Le cœur historique de la clientèle Harley-Davidson est composé de passionnés de mécanique, de vibrations et de ce rugissement caractéristique du bicylindre en V. L’électrique, silencieux par nature, déroute cette base fidèle, en rompant avec les sensations brutes qui ont fait le mythe. Ce n’est pas par hasard que la marque américaine des légendes a choisi de sortir ses motos électriques sous une marque. Cependant, LiveWire ne parle pas encore aux anciens clients et ne séduit pas encore les nouveaux.
KYMCO le roi silencieux du scooter mondial
Tapis dans l’ombre, le discret KYMCO, fondé à Taïwan, est tout sauf un outsider. C’est l’un des leaders mondiaux du scooter, avec une présence dans plus de 50 pays, des millions d’unités produites chaque année, et une expertise industrielle rodée. KYMCO n’est pas qu’un fabricant : c’est aussi un sous-traitant majeur pour d’autres marques. Il sait industrialiser, gérer les chaînes logistiques globales, comprimer les coûts sans sacrifier la fiabilité. Contrairement à Harley-Davidson, il excelle dans les volumes. Contrairement à LiveWire, il connaît les codes du deux-roues compact, maniable, urbain et électrique. Le mariage des deux univers était improbable, mais industriellement évident.
Une offensive urbaine pour LiveWire à tout prix
LiveWire n’a pas seulement besoin d’un partenaire industriel : elle a besoin d’une porte d’entrée, d’un raccourci vers des ventes. L’entrée sur le segment des scooters urbains apparait comme une nécessité stratégique. Il faut séduire une clientèle plus jeune, moins fidèle à la tradition moto, mais en quête de mobilité pratique, propre et rapide. Il faut aussi ouvrir des portes en Europe et en Asie, où l’on vend plus de scooters que de customs. Le projet de maxi-scooter électrique, annoncé pour 2026, incarne cette volonté de diversification. Il sera bâti sur la plateforme maison S2 Arrow, optimisée pour ce format, et présenté sous deux versions — urbaine et tout-terrain. En clair, LiveWire garde le volant du design et de l’ADN, mais délègue le châssis, la production, et une partie des composants à KYMCO.
Une prise de participation qui change la donne
L’histoire ne commence pas à Milan en 2024, mais deux ans plus tôt. En 2022, KYMCO investit 100 millions de dollars dans LiveWire. Ce n’est pas un simple accord commercial, c’est une prise de participation stratégique. Les deux entreprises deviennent partenaires capitalistiques. En échange, KYMCO s’assure un accès privilégié à la technologie LiveWire (dont la plateforme S2), tandis que la marque américaine sécurise un outil industriel de classe mondiale. Autrement dit : KYMCO fournit la force de frappe, LiveWire conserve le blason. Les deux marques misent sur une complémentarité assumée, chacun apportant ce que l’autre n’a pas.
Une production asiatique mais une image premium conservée
Ce maxi-scooter ne sera pas un rebadge de produit KYMCO. Il portera l’image de LiveWire, héritier électrique de Harley-Davidson, avec son exigence de performance et de style. Sous le carénage, on retrouve la motorisation S2 : 84 chevaux de puissance maximale, 40 chevaux en continu, 138 kilomètres d’autonomie annoncée, et un 0 à 100 km/h abattu en 3 secondes. La recharge de 20 à 80 % en moins de 80 minutes bien qu’en deçà des espérances technologiques, pourra potentiellement évoluer en mieux d’ici sa sortie. Ce scooter n’est pas pensé pour les marchés low-cost. Il cible les centres-villes européens, les usagers urbains haut de gamme, sensibles aux nouvelles technologies et habitués à adopter tôt les innovations. Et ça, c’est Harley qui veut le dicter, même si les entrailles viennent de Taïwan.
Pourquoi ce virage
Il fallait agir vite. Les normes environnementales accélèrent la fin des moteurs thermiques classiques. Harley-Davidson ne peut plus se contenter de son cœur de gamme V-Twin. Les jeunes ne rêvent plus de chrome et de vibrations, mais d’agilité, d’électrique, et d’un deux-roues qui se faufile dans les bouchons. La fenêtre pour exister dans ce nouveau paysage se referme. En 2026, il sera peut-être déjà trop tard pour s’imposer. En scellant cette alliance, LiveWire et KYMCO espèrent gagner des années de développement, des millions en coûts de production, et surtout une chance de rester dans la course.
Un pari croisé aux enjeux globaux
LiveWire n’a pas le volume. KYMCO n’a pas l’image. Le scooter électrique de 2026 sera leur test commun. Ce projet incarne une tendance de fond : la convergence entre géants historiques occidentaux et industriels asiatiques agiles. Une stratégie de survie pour les uns, d’expansion pour les autres.
Mais ce genre d’union peut autant combiner les forces que révéler les faiblesses de chacun. Si LiveWire parvient à préserver son identité premium tout en s’appuyant sur l’efficacité industrielle de KYMCO, le pari sera gagnant. Mais si les deux marques se diluent dans un compromis bancal — ni assez iconique, ni assez compétitif — elles risquent surtout d’additionner leurs lacunes. Et l’association Harley-Davidson–KYMCO pourrait bien finir sans volume, et sans image. Le pari est osé.