Un moteur Honda de 173 chevaux pour une moto anglaise de 230 kg
Un châssis d’orfèvre, un moteur japonais, et une philosophie qui tient tête au temps. Un peu plus de dix ans après sa naissance, l’Ariel Ace que reste-t-il d’une moto d’exception qui laissait derrière elle le souvenir d’un choc esthétique et mécanique.
Ariel Ace quand l’obsession devient moto
L’histoire d’Ariel Motor Company est celle d’un retour inespéré. Fondée en 1870, la marque britannique s’est d’abord fait connaître par ses vélocipèdes, avant de se tourner vers la moto dès 1902. Elle est l’un des pionniers du deux-roues motorisé au Royaume-Uni. Longtemps mise en sommeil, Ariel disparaît du paysage en 1970. C’est presque 30 ans plus tard, en 1999, qu’un designer industriel redonne vie à cette légende : Simon Saunders. Formé au Royal College of Art, enseignant à l’université de Coventry, il a travaillé pour Aston Martin et GM. Avec un goût prononcé pour l’ingénierie pure, il fonde Solocrest Ltd., futur Ariel Motor Company, et relance la marque avec une philosophie claire : concevoir des véhicules à part, focalisés sur l’essentiel. L’Atom en sera le premier acte, l’Ace le second.
La géométrie à vif
Dévoilée le 1er juin 2014, l’Ace impose une silhouette sculptée et anguleuse. Son cadre en aluminium n’est pas simplement beau : il est techniquement singulier. Il est constitué de six blocs massifs d’aluminium usinés séparément, puis assemblés à la main avec une précision d’orfèvre. Le processus prend environ 70 heures, de la découpe à l’anodisation finale. Ce cadre qui ne pèse qu’environ 9 kg est réputé extrêmement rigide. Le bras oscillant arrière reçoit le même soin. En option, une suspension avant de type girder, à double triangle, prolonge cette obsession d’une mécanique rare. Conçue par Ariel, elle repose sur un amortisseur Öhlins TTX entièrement réglable. Plus qu’un clin d’œil aux Vincent Black Shadow des années 1950, c’est un véritable hommage aux “Black Ariels” des années 1920, qui utilisaient déjà ce type de géométrie.
Le cœur d’un autre
Un cadre taillé dans l’aluminium, un moteur V4 emprunté à Honda — celui des VFR1200F et VFR1200X Crosstourer. Un bloc de 1 237 cm³, 173 chevaux à 10 000 tr/min, 129 Nm à 8 750 tr/min. Une boîte manuelle à six rapports, ou en DCT, et une transmission par arbre, pour plus de 265 km/h en pointe. Le 0 à 100 km/h expédié en 3,4 secondes. Et 230 kg tous pleins faits. Ce moteur, Honda ne l’a confié à personne d’autre qu’Ariel. Pas une sportive ultralégère, non. Une machine dense, technique, posée. C’est cette disproportion même avec un châssis d’artisan, une mécanique japonaise et une masse assumée. Cette rigueur nue, cette alliance improbable, cette clarté.
Une moto à composer
Chez Ariel, tout se commande à la carte. Guidon haut ou bracelets, commandes reculées ou détendues, selle solo ou duo, suspension Showa ou girder, coloris, jantes, position de conduite : chaque moto est unique. Ariel produit en très petite série, à la main, à Crewkerne. Ce modèle artisanal fait de chaque Ace un exemplaire à part. Cette liberté d’assemblage, poussée à l’extrême, a fait dire à certains qu’elle était un « set de Lego pour adulte ». Sauf que chaque pièce est faite pour durer.
L’épreuve des puristes
En novembre 2016, Ariel dévoile l’Ace R, synthèse de deux années d’expérience sur la plateforme Ace. Limitée à 10 exemplaires, cette version extrême reçoit une préparation moteur signée Mark ‘Brains’ Woodage, ingénieur MotoGP, qui pousse le V4 Honda à 201 chevaux et 143 Nm de couple. L’objectif : prouver que le châssis peut encaisser une puissance bien supérieure sans renier sa souplesse routière. Chaque élément a été allégé, peaufiné, assemblé à la main. Le 0 à 100 est donné pour 2,89 secondes. Produite à Somerset, l’Ace R s’inscrit dans la lignée des éditions limitées maison comme l’Atom V8 ou la Mugen. Un concentré de performance, de rareté et de précision.
Séries spéciales comme talismans
Puis, entre 2018 et 2022, Ariel décline l’Ace par touches subtiles, toujours en séries ultra-limitées. La Ace of Diamonds, produite à seulement 10 exemplaires, affiche des touches rouges éclatantes. L’Iron Horse, en 2019, joue la sobriété mate sur 7 unités seulement. En 2022, la Black Edition pousse le minimalisme à l’extrême : noir mat, finitions satinées, 5 exemplaires seulement. Chacune devient un bijou roulant, témoin du soin extrême apporté à chaque détail. Et leur rareté fait grimper leur cote, doucement mais sûrement, sur les plateformes de passionnés.
Brutalité mécanique assumée
L’Ace n’est pas dépouillée de toute assistance, mais elle en limite l’usage à l’essentiel. ABS et antipatinage sont présents, issus de la mécanique Honda, et peuvent être désactivés. Pour le reste, pas de modes de conduite, pas de suspensions pilotées, aucun filtre superflu. Un cadre, un moteur, deux roues. Poids contenu à 230 kg, freinage Nissin mordant, suspensions réglables (Öhlins ou Showa), comportement précis. Une moto à dompter, mais pas à craindre. Elle ne triche pas. Elle agit, sans filtre.
2025 disparition discrète, aura persistante
En 2025, l’Ace n’est plus listée parmi les modèles disponibles sur le site officiel. Pas de communiqué, pas d’adieu en grande pompe. Elle n’apparaît plus qu’occasionnellement dans la section “Used Vehicles”, quand un exemplaire refait surface. Mais l’aura persiste, et avec elle la valeur. Chaque unité devient plus convoitée. Ce retrait discret parachève l’histoire de cette moto d’exception, dont la rareté alimente encore les désirs. Une moto devenue instantanément collector, sans avoir besoin de l’annoncer.